Rumeurs de France – Rencontre avec le Mili
Translation: paris-luttes.info
“Lancer une pierre sur un flic, dégrader une banque, aller retrouver mes amis… Il n’y a rien de plus politique que ça”
Nous les rencontrons dans l’une des dernières occupations ayant survécus à Paris. Youseph (18 ans), Vincent (17 ans) et Lucie (16 ans), font tou.te.s parti.e.s du MILI, le Mouvement Inter-Luttes Indépendant. Propulsé en premières pages des journaux au cours des dernières semaines de mobilisation contre la réforme du code du travail, le MILI s’est fait remarqué pour la détermination avec laquelle il s’est mis en tête de cortèges, parvenant à mobiliser des milliers de jeunes étudiants qui ont été la véritable force de ce mouvement face à de timides réactions syndicales contre cette nouvelle « flexibilité » du marché du travail qui vient à nouveau “de gauche”.
Une très jeune subjectivité politique, provenant principalement des lycées dans le quadrant nord-est de la capitale, a vu le jour en quelques semaines à travers l’affrontement avec la police et le rejet plus général des injonctions au sacrifice provenant du monde des adultes. La Loi Travail, est devenue le symbole qui n’annonce rien d’autre que l’approfondissement de la vie misérable et mesquine que nos dirigeants nous assurent d’être inévitable.
De l’expérience et de l’analyse de nos interlocuteurs, il semble qu’apparaissent des premiers éléments minoritaires, mais massifiant, de mécontentement et de rejet à l’égard d’un modèle de développement oppressif, pauvre en ressentis et incapable de maintenir des promesses perçues comme de moins en moins attrayantes. Nous assistons en fait, même en France, à un élément qui semble propre à la phase que nous traversons, à savoir la recomposition à des niveaux très hauts de la contradiction capitaliste, spéculaires à la profondeur de la désaffection à l’égard de la politique des palais [NdT : politique politicienne] et de désenchantement quand à une éventuelle sortie de la crise dans le cadre systémique existant. Partout, la révolution n’a jamais semblé une nécessité si évidente. Mais au-delà des Alpes cette recomposition semble s’être posée d’une manière moins subordonnée à la politique « classique », pour reprendre une des expressions de nos jeunes interlocuteurs, et du fait de l’éthique dégoûtante du travail, profondément intériorisée par les jeunes générations de notre pays.
Dans l’interview, nous oscillons entre le désir de désertion et la conscience de la nécessité de ne pas abandonner la destruction du vieux monde, mais avec une résolution qui semble claire dans une partie importante des jeunes générations de la capitale française, en ceci différent de nous : il n’est plus temps d’attendre que les choses changent.
Ce qui ressort de l’interview, c’est ce que pourrait signifier un jeune sujet vraiment contemporain, tant dans ses formes d’organisation, que dans le moyen de reprendre l’espace et ses contenus. Suggestions intéressantes, à regarder avec un œil attentif pour saisir les nuances, et, avec un peu de bon sens, les indications pour tous ceux qui comme nous apprécient la subtile brise de possibilités qui nous vient d’au-delà des Alpes…
Qu’est-ce que le MILI ? Comment et quand est-il né ?
Vincent : En premier lieu c’est un groupe de jeunes : lycéens, étudiants, jeunes travailleurs… Mais avant tout des étudiants du secondaire. Ensuite nous sommes aussi un groupe d’amis qui a commencé à se rencontrer durant l’affaire Khatchik et Leonarda, le cas de deux étudiants qui furent expulsés parce que sans-papiers [NdR : à l’automne 2013 des milliers de lycéens se sont mobilisés contre l’expulsion de deux étudiants, arrêtés à la sortie de l’école et chassés de France pour manque de permis de séjours]. Petit à petit s’est mise en place une mobilisation, une assemblée permanente d’élèves du secondaire, le Mouvement Inter-Lycéen Indépendant, comme nous nous appelions alors que nous étions seulement lycéens.
Youseph : Au début le MILI c’était un truc de 200 personnes, tout le monde participait aux assemblées générales. Après le truc c’est un peu déstructuré. Quelques uns sont partis, et sont restés les plus déterminés. Une nouvelle génération est venue de l’extérieur. Des gens qui se connaissent, des amis d’amis, un bouche à oreille continue.
Vincent : Le but c’est de se retrouver entre amis pour parler et s’occuper de différentes choses, que se soit l’antifascisme, la lutte contre les violences policières, disons contre le capitalisme. Nous ne voulons pas être une grande institution mais un groupe d’amis ? Permettre aux étudiants de se retrouver. De notre côté nous n’avons jamais voulu diriger un mouvement, on s’intéresse plutôt à créer les conditions pour que soit créé un mouvement et qu’il nous dépasse. Je crois que c’est ça qui nous fait le plus plaisir, au MILI, voir des gens que tu n’as jamais vu être plus motivés que toi faire des trucs de fous. En fin de compte nous ne voulons pas diriger mais mobiliser les jeunes.
Lucie : Surtout ceux qui ne sont pas intéressés à finir dans les syndicats, au fond d’accord avec le Parti Socialiste et le cadre institutionnel, malgré les déguisements avec lesquels ils se présentent. Vraiment, ce qui nous intéresse c’est de sortir du cadre des partis politiques, de comment ils gèrent les choses.
Vincent : Nous ne sommes pas les types classiques d’assemblée, qui ont déjà une vie toute tracée vers une carrière politique, quelque chose qui en général est mal vu de la part des autres étudiants. Nous sommes des lycéens comme les autres, qui font des soirées, qui sortent… Il s’agit en fait plus que tout de rapporter la politique dans la vie quotidienne.
Comment devient-on du MILI ?
V : Ce qui nous intéresse c’est d’être re-joignable même si nous ne cherchons pas à recruter. D’habitude les gens nous contactent par le biais de notre page Facebook [NdT : Trop thug life quoi] : ils y font un tour, voient ce qui les intéresse, demandent comment ils peuvent entrer en contact, nous leur disons de venir aux réunions, de sortir avec nous. Et ainsi de suite, on sort, on devient amis, les choses vont ensuite d’elles mêmes… des amis arrivent, en amenant avec eux d’autres amis.
Comment vous êtes vous rapportés à la mobilisation contre la Loi El Khomri ? Pouvez-vous décrire les passages fondamentaux ?
Y : Dès le début nous avons remarqué que le point différent de ce mouvement c’est que ce ne sont pas les syndicats qui ont commencé la mobilisation, elle a commencé sur Internet. Il y avait des vidéos sur Youtube et des graphiques tournaient déjà pour critiquer la loi. Et nous avons vu que ce n’était pas seulement les réseaux militants qui faisaient circuler ces trucs, mais ces lycéens qui déjà commençaient à se mobiliser avec le hashtag #OnVautMieuxQueÇa. Certes ce n’était pas quelque chose de ouf, mais il y avait déjà ça plus une pétition sur une plateforme spécialisée avec plus d’un million de signatures.
V : Le 9 Mars a été le premier jour de mobilisation auquel nous avons appelé. Nous nous sommes dit que si nous voulions créer un vrai « mouvement social » il y avait besoin de sortir du cadre syndical et réussir à imposer notre propre date. Les syndicats étudiants avaient seulement appelé à un cortège l’après-midi, alors que nous, nous avons fait un appel à bloquer les lycées. Nous avons fait circuler l’appel entre nos amis, nous avons fait des chaines de SMS. Et nous avons vu que la chose prenait forme. Donc le 9 Mars nous avons fait notre premier cortège qui partait à 11h de Nation. C’était vraiment la toute première manifestation, le mouvement n’était pas encore commencé, il y avait pas mal de lycéens mais ce n’était pas non plus quelque chose d’énorme. Peut-être mille. Il pleuvait, c’était la galère [rires], tu te lèves à 6h pour bloquer ton lycée, après t’es fatigué et t’as envie de rentrer chez toi pour te sécher. Les policiers étaient plutôt discrets, il n’y en avait presque pas. Le cortège a commencé et il y a eu trois ou quatre banques cassées, quelques œufs de peintures lancés sur les banques, quelques tags, mais rien d’autre.
La date suivante est celle du 17 Mars, quand les syndicats ont appelé à un cortège. Nous nous sommes greffés à cette date mais nous avons décidé d’appeler à un cortège dès le matin, toujours à 11h à Nation. Entre temps, le premier cortège a bien tourné sur les réseaux sociaux, les autres initiatives contre la Loi Travail comme la pétition continuent à se répandre. Il y a une vidéo pour appeler à de nouveaux blocages dans laquelle on voit les banques avec les vitres cassées et je pense vraiment que ceci à jouer un rôle déterminant. Pour la première manifestation il y avait encore l’idée répandue que « les manifestations sont un truc de blancs qui s’amusent mais ne servent à rien ». À l’inverse, on voit que depuis le second cortège, et ensuite le truc a augmenté de plus en plus, il y a beaucoup de gens des quartiers, des gens qui n’ont pas l’habitude de faire des manifestations, qui viennent parce qu’ils voient qu’ils peuvent prendre une forme qui est différente de celle de descendre dans la rue pour dire « on n’est pas content ! » pour ensuite retourner chez soi, ils voient que ça peut-être quelque chose de plus actif. Le 17 Mars donc, il y avait beaucoup plus de personnes, nous passions de mille à au moins cinq mille personnes, selon les chiffres de la police, donc je crois beaucoup plus que ça.
Y : En résumé – et c’est la première fois que nous voyions un truc du genre – nous avons vu les lycéens qui spontanément ont commencé à se couvrir le visage. Des camarades de classe, de Seconde, qui commencé à sortir du matériel des sacs à dos et à attaquer les banques.
V : Des gens que nous voyions tous les jours lors des cours ! Qui s’y attendait ? Imagine-toi des centaines de lycéens, à qui la police ne plaît pas déjà de base, – les jeunes en général n’aiment pas la police – avec en plus l’excitation du moment : ils ont vu ce qui s’est produit au premier cortège et se disent « maintenant c’est notre tour, nous aussi nous voulons faire comme ça, nous non plus nous ne laisserons pas faire ». Donc la chose est complètement spontanée. Moi c’est la seule fois que j’ai vu un truc du genre, les gens qui spontanément voient les policiers, vident un chantier, et leur lancent tout ce qu’ils ont sous la main [NdT : Même des pelles]. Les flics ont eu peur, ils couraient presque dans l’autre sens. Il y a eu plusieurs charges, des lacrymogènes. Toujours est-il que nous étions tant que ce fut sans aucun doute le cortège le plus gros. Ensuite les flics de la BAC sont entrés dans le cortège pour prendre des gens, les ont tirés en dehors, les ont frappés et balancés dans le fourgon.
Y : La date suivante est le 24. Nous n’avons pas pu nous voir à Nation parce que le cortège de l’après-midi partait de Montparnasse. Donc la rencontre est à place d’Italie. Il pleuvait mais il y avait quand même des gens.
V : Ça faisait au moins cinq ans que les keufs n’avaient pas vécu de situation comme celle du 17, avec des gens qui, sans attendre le cortège, étaient partis et spontanément commençaient à les charger. Donc le 24 ils étaient chauds. Moi même je me suis retrouvé à deux doigts d’être massacré. Les flics étaient super violents.
L : Pour jeudi 24 il y a aussi le matin où, au lycée Bergson, il y a eu d’autres violences policières. Les lycéens n’avaient rien fait, il n’y avait eu aucune violence de quelque sorte, je crois juste que le directeur s’est pris un œuf dans la tête mais rien de plus. Les policiers étaient là depuis 6h du matin pour « contrôler » et donc insulter les gens. Parce que ça personne le dit mais c’est ce qu’ils font : ils insultent et provoquent.
V : Tu dois comprendre que des insultes de la part des flics comme « négro de merde, arabe de merde » en manifestation, les gens de ma classe les ont toutes entendues sans exceptions. Bergson est considéré comme le pire lycée de Paris, et en pratique le seul lycée « chaud » qu’il y a à Paris intra-muros. Dès 6h du matin, les CRS viennent en tenue anti-émeute pour quatre bacs à poubelles mis devant le lycée. Avec les casques, les boucliers, les Flash-ball et LBD. Peu à peu ça énerve les lycéens, l’atmosphère se tend.
L : À Bergson à un moment ils se sont dit « on charge », ils ont choisi quelqu’un et l’ont massacré. Il y a un jeune qui a été filmé, qui se prend un gros coup de poing alors qu’il était en train d’être relevé. Et ça ils n’ont pas pu le cacher parce que ça a été filmé, mais il y a tant de personnes qui ont été frappées dans les rues et ça personne le sait.
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V : Donc directement il y a eu un appel pour le jour suivant qui a circulé, pour bloquer les lycées et se retrouver devant Bergson. À 10h nous sommes déjà deux mille devant l’école.
Y : À 8h il y avait une réunion dans l’établissement avec le sous-préfet, des représentants des lycéens, de la direction. Pour calmer les choses, ils ont dit « Nous nous occuperons du jeune homme ». Comme s’il s’agissait d’un épisode exceptionnel ! À 10h les syndicats étudiants ont proposé de rester en sit-in devant le lycée pour parler avec les médias de cet épisode, ou bien d’entrer dans le lycée pour discuter avec le sous-préfet pour qu’on nous explique comment faire un bon blocage, comment faire en sorte que les prochaines mobilisations se déroulent mieux. À ce moment là il n’y avait pas de cours, ils les avaient suspendus, et les lycéens n’avaient ni l’envie de parler avec les médias ni de discuter avec le sous-préfet, donc un cortège est parti spontanément. Personne ne savait trop où aller, quelqu’un a dit « Eh ! Y’a un commissariat pas loin »…
V : C’est le commissariat du Xe arrondissement, où, entre autres, il y a un gars qui est mort étranglé alors qu’il était en garde à vue, l’année dernière. Nous sommes arrivés à ce commissariat qui est dans une ruelle, donc imagine toi à deux mille dans cette ruelle, nous étions tant. Directement on a vu qu’ils ne s’y attendaient pas, il y a eu cinq ou six policiers qui sont sortis avec des petits boucliers et des sprays juste pour provoquer. Ils se sont pris quelques lancers d’objets divers, des lycéens ont bloqué avec des grilles l’entrée de la rue. Après quelques tours nous sommes repassés devant Bergson et là à côté il y a un autre commissariat qui est justement celui duquel venaient les policiers qui étaient arrivés la veille et où se trouvaient encore nos amis en garde à vue. Arrivés là, il n’y a aucun policier qui est sorti durant un quart d’heure, il y a des gens qui ont pris des barres en fer géantes sur un chantier et ont commencé à casser les vitres du commissariat. Il y avait 100 personnes qui ont attaqué le comico et les autres mille cinq cent qui restaient et disaient « trop stylé ! ». Les médias ont ensuite annoncé que le commissariat serait restait fermé pour trois jours entiers tant les dégâts importants l’empêchaient de fonctionner. Toutes les vitres étaient cassées. À un moment donné quelqu’un a crié « Franprix ! » et cinq cent personnes se sont mises à courir. On a vu qu’à l’intérieur ils essayaient de fermer la grille pendant que les lycéens la maintenaient ouverte en hurlant « c’est gratuit ! ».
Y : Ça aussi ce fut quelque chose de spontané. La majeure partie des choses qui furent volées fut offerte aux migrants campant à Stalingrad…
V : En mode de redistribution, on leur donna tout, les boissons, les desserts, ils étaient super contents.
L : Un énième épisode qui ne fut pas raconté dans les médias…
C : Oui, en fait tous ont dit que ce n’était pas vrai. Libération a sous-entendu que nous étions des menteurs, que nous l’avions dit [NdT : la redistribution aux migrants] pour nous justifier. Alors que ce geste, les lycéens l’ont fait et rien ne les obligeait à le faire !
V : Ensuite est arrivée la grève générale du 31 Mars. En fait ce jour là il n’y avait pas vraiment les syndicats étudiants, et donc il n’y avait personne pour dire aux lycéens « restez derrière, faites attention, devant il y a les black-bloc ». La police a essayé de couper notre cortège en deux mais nous sommes parvenus à bien avancer, en un seul beau bloc organisé. À Gare de Lyon émerge l’idée d’aller l’occuper, la moitié du cortège court dedans mais il y avait déjà les CRS à l’intérieur de la station donc nous somme sortis.
L : Sur le pont entre la gare de Lyon et la gare d’Austerlitz, les policiers bloquaient la voie et ont commencé à tirer des grenades de désencerclement, des Flash-ball et LBD, des lacrymos, il y a eu plusieurs blessés… Cependant nous sommes restés unis, déterminés, et nous sommes parvenus à les faire se replier. Ce fut un moment incroyable parce que même si nous avons pris cher à ce moment là, à la fin les CRS ont du faire demi-tour.
V : Il y a cette vidéo qui tourne beaucoup sur laquelle on voit les manifestants qui chargent en faisant « ahou, ahou ! » et vont au contact. Pour moi c’est peut être la plus grande victoire que nous avons eu jusqu’à maintenant. Et dis toi que c’étaient tous des lycéens, des gens qui pourraient être dans ma classe, que je croise dans la rue, avec qui je joue au foot, qui ont décidé d’eux mêmes de faire tout ça.
L : Ensuite il y a eu le 5 Avril qui a été un cortège hyper violent dans lequel les flics ont vraiment fait tout et n’importe quoi… Ils n’étaient pas là pour maintenir l’ordre, ils ont pris les manifestants pour cible. Pour leur casser la gueule.
V : Leur stratégie désormais est de faire peur aux lycéens qui comme tu le sais ne sont pas comme des adultes, puisque sous la responsabilité de leur propres parents, qui sont donc moins libres de leurs propres gestes. Leur faire peur pour qu’ils ne manifestent plus. Déjà le 31 ils se sont dit « envoyons 15 mineurs aux urgences, fracturons des crânes, cassons des doigts, déplaçons des vertèbres, tout le monde s’en fiche du moment qu’ils ne reviennent plus ».
Toute cette répression a un effet sur la disponibilité à la lutte des étudiants ?
Y : Ce truc nous préoccupait vraiment et les syndicats aussi ont essayé de mettre en premier plan cette question en disant « à cause des black-bloc ça ne fonctionne plus, les gens ne viennent plus ». Et en fait on s’est rendu compte que non…
V : Il y a peut-être une petite part qui effectivement se laisse décourager mais pour la majeure partie nous assistons à un mépris [NdT : contre la police] qui s’agrandit de jour en jour. Je pense que les lycéens ont perçu plus que tout comme une nécessité le fait de se couvrir le visage. Ce n’est pas la question de faire un cortège « violent » mais plus que tout ça partait du fait que les policiers sont si violents et qu’il y a donc besoin de se préparer [NdT : à cette violence].
L : je me rends compte qu’à la première manifestation j’étais à visage découvert, sans rien, et disons « calme ». Et à chaque manifestation suivante, avec mes amis, nous étions toujours plus préparés. Au début seulement avec un foulard, ensuite avec les lunettes de protection, etc. Nous nous sommes rendu compte que les policiers étaient tellement violents qu’il y avait besoin de se protéger par soi-même.
L : Les médias ressortent continuellement cette histoire selon laquelle ceux qui sont à visage couvert ou violents ne sont pas des lycéens mais le mythe du « black-bloc » qui arrive d’on ne sait où et veut tout casser. Alors qu’en fait ce n’est pas que les gens cassent tout, il y a des objectifs clairs et en plus on parle de lycéens, des personnes qui ont seize ou dix-sept ans et qui simplement ne veulent plus se faire casser les couilles.
Y : L’autre chose c’est de dire [NdT : dans les médias] qu’il ne s’agit pas de gestes politiques mais que ce serait casser des trucs juste pour les casser. Et en fait il n’en n’est rien ! Il y a bien une raison derrière l’agissement de ces gens qui prennent des risques pour faire ces choses.
Et cette volonté d’assumer un certain usage de la force a émergé seulement durant ces semaines de mobilisation ou déjà avant selon vous ?
Y : Selon moi ça semble vraiment être un élément de ce mouvement, quelque chose que nous n’avions jamais vu. Même ceux qui font les vieux militants expérimentés avec le CPE n’ont pas vu des choses du genre, ce niveau d’organisation, des liens comme ceux-là.
V : C’est la première fois que nous voyons des lycéens du centre-ville, des militants, des gens des quartiers, tous ensemble, du même côté.
Quelle influence pensez-vous qu’a eu l’État d’urgence sur la mobilisation ?
V : Ils cherchent à nous parler des attentats comme quelque chose qui a pesé sur nos vies, qui nous a traumatisé, qui nous a fait peur.
L : Ils disent qu’ont devrait faire des sacrifices…
V : Ce que je vois, quand je me regarde moi et mes amis – je dis seulement ce que je vois – c’est que le poids des attentats est resté minime par rapport à l’État d’urgence. L’État d’urgence change tout. Dis toi que « le policier, s’il le veut, peut m’embarquer et s’il me tue il trouvera peut-être le prétexte pour dire que j’étais un terroriste ».
La question de la violence est débattue entre les lycéens ?
L : Dans mon lycée – je suis dans un lycée du centre, plutôt bourgeois – on en parle parfois lors des assemblées. Les gens sont plus animés par cette idée d’être bien-pensants, être « propres », être dans le système. Manifester mais en restant complètement intégrés dans le système, faire des manifestations légales. Il y a ce discours selon lequel il y a les méchants black-bloc et puis il y a les autres, qui doivent manifester pacifiquement. La plupart du temps ils ne comprennent simplement pas ce qu’il se passe. Ils sont contre la violence mais ils ne comprennent pas l’impact, ils ne comprennent pas que sans violence l’État s’en contrefout de nos manifestations. Au moins maintenant ils en parlent, mal mais au moins ça les intéresse…
V : Puis il y a les lycées comme le mien que ces sujets n’intéressent pas, dans lesquels il n’y a pas d’assemblées : on sort de cours l’après-midi « on bloque demain ? Oui ! ». Le jour suivant on vient à cinquante et on bloque le lycée. Les AG à ce stade n’ont aucun poids, aussi du fait qu’il n’y a pas besoin d’expliquer aux étudiants des trucs du type « les syndicats veulent récupérer le mouvement, faire de la pacification », les gens te disent : « qui sont les syndicats ? Je ne les ai jamais vus. Ils ne sont jamais venus faire des blocages avec moi donc je m’en fous ». Les choses vont d’elles-mêmes.
Nous avons lu une de vos interviews dans laquelle vous disiez que pour vous c’était important d’agir dans les écoles parce que c’est l’un des derniers espaces de mixité sociale… Qu’est-ce que vous voulez dire ?
V : Ce qui est à la fois bien et pas bien à Paris c’est que les lycées sont divisés en fonction des résultats scolaires, des notes que tu as eu au collège. Donc peut-être que tu vis dans un quartier bourgeois, mixte ou populaire et au bout du compte on peut tous se retrouver dans le même lycée. Les lycées de Paris-Est en particulier sont le dernier espace de mixité sociale, le dernier espace où tu es presque libre de parler, de dire ce que tu penses, de vivre.
L : De rencontrer tant de personnes différentes…
V : De discuter, de vivre avec des gens que tu n’aurais jamais vu, que même avec toute la bonne volonté du monde tu n’aurais jamais pu connaître. À l’université c’est déjà différent parce que c’est plus sélectif, et pire encore quand tu travailles et que tu es toujours avec les gens de ton groupe social, les gens avec qui tu es destiné à être. Un truc sympa quand t’es au lycée c’est que t’es amené à rencontrer des gens de partout. Je pense aussi que ce doit être le dernier lieu dans lequel t’as pas encore la pression de rentrer dans la vie active, t’as pas encore toutes ces … je pense que c’est plus facile de ne pas y rentrer plutôt que d’en sortir. C’est pour ça que les lycéens sont plus facilement « motivables », plus touchés par la lutte : parce qu’ils ne sont pas encore attelés dans la vie adulte.
L : Ils ne sont pas encore conditionnés par le discours « c’est comme ça, t’as pas le choix ». Et même à ceux qui disent ne pas être touchés par les mobilisations, tu peux toujours dire « dans tous les cas ta vie est merdique, elle est tracée par les dominants, les patrons, les riches … Par quelques personnes qui – elles – ont le pouvoir et les moyens… vous au contraire vous devrez travailler et gagner peu », et aucun lycéen ne peut être d’accord avec une telle situation… Ce n’est pas comme avec les adultes qui ont déjà la tête pleine de ces trucs.
Y : Les lycéens ne sont pas résignés. Sauf la pression des parents, tu n’as pas trop d’obstacles, tu peux faire ce que tu veux. Faire un blocage au lycée ce n’est pas comme faire une grève au travail, tu ne perds pas ton salaire, tu n’as personne à nourrir. Tu vis encore avec tes parents, t’as moins d’obligations, plus de temps libre.
L : Bien sûr il y a des lycées où il y a plus de pressions [NdT : faites par les parents], comme celui où je vais, tu ne travailles pas mais tu te retrouves face aux parents de tes camarades de classe, qui accompagnent leurs enfants pendant que nous faisons les blocages, et qui te disent « vous ne pouvez quand même pas empêcher nos enfants d’aller en classe, ce n’est pas démocratique, ce n’est pas une façon de faire, etc. ».
Qu’est-ce que représente pour vous ce mouvement contre la réforme du code du travail ?
Y : il s’agit d’un mouvement particulier. Alors que les syndicats sont vraiment dépassés par la mobilisation, on les voit moins, il n’y a plus le problème de politiser la contestation. La majeure partie des lycéens sait ce qu’est, grosso modo, la Loi Travail, mais ça ne les intéresse pas plus que ça. La contestation n’est pas seulement contre la Loi Travail. Bien sûr il s’agit d’un élément qui a beaucoup mobilisé mais la contestation va bien au-delà. Ce n’est même pas une question de gouvernement, nous ne sommes pas déçus de ce gouvernement parce que nous n’attendions rien de lui, comme du prochain. En général, personne ne croit à la politique, nous avons compris qu’il ne s’agit là que de la gestion du désastre. Il y a le chômage et la précarité et ils se disent « Ok, cherchons à gérer ça au mieux ». Ils ne cherchent pas à trouver des solutions mais seulement à gérer les jeunes qui arrivent. Mais même si les gens ne croient plus à la politique, ils ont la volonté de se bouger, de faire des choses.
V : Il y avait une banderole le 5 Avril sur laquelle était principalement écrit « BURN-OUT GÉNÉRAL », de cette façon. Ceux qui viennent des quartiers populaires, mais désormais les autres aussi, savent que toute leur vie sera comme ça : ils devront en baver, travailler. Depuis leurs dix ans on leur dit « vous devrez vous remuer le cul, économiser, faire des sacrifices, c’est comme ça quoi qu’il arrive ». Et les lycéens sont démoralisés et se disent « Non, ce n’est pas notre manière de vivre ». Et le seul fait d’aller en manifestation et de montrer qu’on n’en peut plus… Lancer une pierre à un flic, dégrader une banque… Il n’y a rien de plus politique veut dire que « nous refusons tout le système ». La politique pour nous n’est pas une médiation, c’est un refus. La banque nous ne la voulons pas, alors nous l’attaquons, la police nous ne la voulons pas, alors nous la faisons reculer. Nous refusons en bloc ce qu’ils essaient de nous imposer. Je crois qu’il n’y a rien de plus politique que tout ça.
Vous avez dit cette chose intéressante : les gens « ne croient plus à la politique »… Qu’est ce qu’est pour vous la politique ? Vous vous définissez comme des « militants » ?
Y : Il y en a quelques-uns parmi nous qui se définissent comme des militants. Ce terme ne me plaît pas trop, parce qu’il y a l’idée que tu fais de la politique à certains moments de la journée alors que pour moi c’est une chose quotidienne. Nous pensons que la jeunesse aujourd’hui ne fait pas de la politique mais du politique. La politique est fondée sur des normes traditionnelles, « organisatrices », alors que nous vivons le truc au quotidien, peut-être fait-on des choses qui ne sont pas immédiatement perçues comme politiques : faire des fêtes, vivre, discuter, des moments de vie en dehors des institutions. Si tu veux organiser un banquet, une fête, et que tu dois utiliser des amplis, tu dois faire la demande à la préfecture qui te dira à quelle heure tu dois arrêter. Nous faisons front contre ces choses, qui ne sont pas immédiatement politiques mais ont derrière elles toute une histoire.
V : Sous l’État d’urgence, c’est devenu politique de se retrouver avec des gens dans la rue et de faire la fête. Ce dont on ne se rend pas compte c’est que, et en particulier avec les institutions, les dirigeants font en sorte de montrer la politique comme quelque chose qui fait chier afin que les gens ne s’y intéressent pas, pour que ça reste leur seul domaine. Ce qu’il faut, au contraire, dire et expliquer, c’est que tout, chaque acte, la vie elle-même est politique. Aller retrouver mes amis, il n’y a rien de plus politique que ça. C’est à nous d’avoir le pouvoir sur nos vies et faire ce que nous voulons. La chose la plus importante, c’est que le MILI n’est pas fait pour faire de la politique de 6 à 18 heures et ensuite retourner content chez soi. Ce qui nous intéresse ce sont les choses qui se font dans un squat comme : vivre ensemble, différemment, en communauté, en partageant au maximum une vie qui se veut inapte au travail et à ce genre de choses.
Y : Parfois ça nous plairait d’avoir un lieu comme ça, occupé, où l’on pourrait faire des activités et intervenir dans les quartiers, faire bouger les gens…
V : … mais il y a aussi le fait que pour gérer un espace comme ça il faut être super organisés, ça demande un max d’énergie. Peut-être d’ici deux ou trois ans. Je pense que nous avons besoin d’acquérir encore un peu de maturité.
Une chose qui nous a frappé c’est votre slogan sur un drapeau « jeunes et révoltéEs – le monde est à nous », au féminin. Pourquoi ce choix ? Vous vous sentez touchés par le discours féministe ?
V : Je pense que la lutte féministe est une lutte contre une part importante du capitalisme, parce que tout le machisme, tous les moments pendant lesquels les hommes cherchent à se positionner au dessus des femmes, sont une chose dictée par les médias, par la publicité. Je ne pense pas que tu puisses te dire contre ce système, si tu n’es pas un minimum féministe.
L : Le système de domination ne peut pas arrêter de fonctionner sinon. Les femmes sont la moitié de l’Humanité. Par exemple à Nuit Debout il y a eu la proposition de quelques femmes de prendre des moments de discussion seulement entre femmes, et il y a eu des hommes qui les ont insultées, qui ont dit « nous sommes fiers de nos couilles » et d’autres conneries du genre. Ils ne se rendent pas compte de toutes les discriminations. S’il y avait des noirs qui souhaiteraient discuter entre eux, tu irais leur dire « je suis fier d’être blanc » !?! Si les femmes ont besoin de discuter entre elles à partir de leur point de vue, taisez-vous et écoutez ! Les hommes sont majoritaires dans tous les espaces existants. Même dans la tête des femmes, ce sont les hommes qui dictent la pensée, avec tous les critères de beauté imposés dans la publicité. Toute cette misogynie que les femmes elles-mêmes arrivent à répéter « si elle couche avec autant d’hommes, c’est une pute ». Les hommes sont présents partout, dans tous les environnements de la vie des femmes et ça c’est un problème.
À propos de Nuit Debout, que pensez-vous de cette expérience ? Vous la ressentez comme quelque chose à vous, qui vous concerne ?
V : Je pense que l’idée, en soi, est bonne : se réapproprier l’espace public. Le problème c’est que la Place de la République est vraiment devenue un lieu où tu sors du métro, tu passes, tu jettes un coup d’œil, et tu t’en vas, tu retournes chez toi. On dit que « c’est une bonne chose, c’est un espace énorme, on va discuter, on s’y réapproprie la politique » et ça effectivement c’est beau, mais il y a aussi des choses qui ne me plaisent pas parce que ça stagne, quoi qu’on en dise, dans un cadre substantiellement para-institutionnel, toujours avec des assemblées et ces pré-requis démocratiques : on y vote, il y a des représentants du Front de Gauche qui interviennent, toutes ces choses qui bloquent les initiatives personnelles. On reste, en fait, dans un cadre très républicain, comme dans un des derniers poster de Nuit Debout « Liberté, Égalité, Fraternité : reprenons la République ». Je pense qu’on ne peut pas contester quelque chose en utilisant les mêmes valeurs. Liberté, Égalité, Fraternité, en soi, ça peut marcher, ce sont des paroles qui font rêver, même si je me demande, « liberté de quoi ? ». Je crois en fait qu’à Nuit Debout il y a une tendance hyper-démocratique, de politique classique, qui ne nous plaît pas du tout. Ce qu’on observe, avec les organisateurs de Nuit Debout, c’est qu’à chaque fois que part un cortège spontané, chaque fois qu’il y a de petits débordements, ils cherchent à les retenir, alors que ce sont ces débordements qui rendent la chose vivante, intéressante, qui font peur à l’État. Si tu restes enfermé sur une place à discuter, ça ne sert à rien.
Y : Pour nous, ce qui rend cette place intéressante c’est la possibilité de nouer des liens, rester sur la place, rester à parler entre nous, ça ne sert à rien. Ce qui sert c’est de sortir dehors, faire des manifestations… occuper tout Paris !
V : Surtout les cortèges spontanés : faire des barricades, bloquer les flux, ralentir le fonctionnement d’une ville, il n’y a rien de mieux. Alors qu’à l’inverse les organisateurs de Nuit Debout font le service d’ordre, comme les syndicats. Je crois plutôt que l’unique moyen pour déstabiliser la vie normale c’est le désordre.
Y : Les votes, les propositions, les assemblées… il y a quelques décisions communes. Ça donne l’impression de faire je ne sais quoi mais au fond ils répètent le cliché syndical : toujours à dire « on veut une massification, il y a besoin de plus de gens… » alors que merde, les gens sont déjà là, en ce moment, donc maintenant il faut agir ! Même si c’est un échec, s’ils nous bloquent après quelques mètres, ça sera toujours une tentative qui laissera quelque chose. Il faut savoir prendre des risques, autrement nous, que devrions-nous faire : ne pas bouger des écoles pour attendre que les gens arrivent ?
V : En parlant avec les gens, tu te rends compte d’un coup de la différence entre ceux qui souhaitent réellement reprendre leur propre vie en mains, face à ceux plus intéressés par les formes classiques de politique. Les gens comme nous pensent que le mouvement a déjà commencé, alors que les autres sont toujours là en train d’attendre que ça commence. Ils disent « attendez, d’abord nous devons avoir une bonne image dans les médias, nous devons gagner en crédibilité, être plus nombreux… »Nous, à l’inverse, nous préférons construire des moments dans lesquels le capitalisme, la police, n’ont pas leur place. Si tu commences à agir maintenant, les gens le verront.
Y : Nous ne croyons pas à la révolution comme quelque chose qui doit arriver, la révolution tu la fais tous les jours, au quotidien. Il n’y a pas besoin d’attendre que les gens descendent dans la rue, comme ça, spontanément.
V : Dans tous les cas le « grand jour » n’existe pas ! Il faut ouvrir des espaces, créer des relations dans lesquelles la monnaie et la valeur de la société capitaliste n’ont pas cours, comme à la ZAD.
L : Bon évidemment c’est impossible d’ouvrir des espaces où le capitalisme n’est absolument pas présent : ce que tu portes, ce que tu manges, nous sommes tant imprégnés de tout ça, les chaussures qu’on achète, il suffit qu’elles conviennent à nos pieds… Ça sera difficile de changer.
Comment vous organisez vous, à présent, en pensant à ce mouvement, au fait qu’il y a les vacances scolaires qui fermeront les écoles pour deux semaines ?
V : Au regard des écoles supérieures, on observe que par rapport à la Loi Travail la situation commence un peu à se traduire par une démobilisation. Mais dans un même temps on voit que toujours plus d’étudiants sont touchés par le politique, un certain esprit de révolte est en train de se diffuser, une volonté d’aller au fond des questions : « on n’en n’a assez, ce n’est pas normal ». C’est un sentiment hyper-diffus. Je crois donc que la chose principale qui restera de ce mouvement c’est par dessus tout une motivation générale entre les étudiants, une dynamique contre cette société en général. Je ne crois pas que, une fois finie la mobilisation contre la Loi Travail, les gens retourneront chez eux comme si de rien n’était. Après 68 et aussi en partie (bien moins) après le CPE, ce qui est demeuré c’est une génération politisée. Nous croyons que ce sera le cas cette fois aussi, peut-être moins, mais là aussi on voit tout ça, participer aux manifestations, le fait de vouloir affronter la police, tout ça est revenu au centre de la vie des étudiants. Si nous réussissons à continuer tout ça, nous serons heureux.
L : Par rapport à Mai 68, le problème c’est que tous les leaders ont fini au Parti Socialiste ou en tout cas sont tous intégrés dans le système comme politiciens. Nous, nous n’avons pas de leaders, et ça c’est une chance, nous aurions eu des leaders j’aurais eu peur qu’ils soient réintégrés dans le système.
Y : Nous cherchons, dans tous les cas, à ne pas avoir de leaders. Ce que nous cherchons à faire durant les vacances c’est de maintenir quand même un niveau de mobilisation, en appelant à quelques dates et en organisant des moments de rencontres pour garder contact avec tous les étudiants venus aux manifestations. Parce que les manifestations sont belles, on y partage des choses mais après les gens on ne les connaît pas, on les croise mais après on les perd, sans discuter, sans parler. Nous avons besoin de mieux nous organiser.
V : Nous devons mettre sur pieds des moments de vie partagés, faire un repas populaire, un barbecue [NdT : spécialité du MILI], des tournois de foot, des évènements pendants lesquels les étudiants peuvent se retrouver. Si le mouvement Nuit Debout continue, qui sait, nous pourrions occuper une partie de la place et organiser des trucs à nous, comme les étudiants des écoles supérieures. Même si nous la critiquons pour certains de ses aspects, ça reste néanmoins un espace ouvert, au centre de Paris, où se rencontrent tant de personnes.
Y : J’ai vu des jeunes d’un lycée voisin qui commençaient à se voir pour organiser un groupe, un peu du genre MILI, pour s’organiser et aller en manifestation ensemble. Ce sont des choses qui naissent comme ça : des gens qui se connaissent, qui se voient tous les jours à l’école, qui choisissent le matin d’aller en manif, puis qui continuent l’après-midi, puis Place de la République… c’est comme ça que nous nous sommes formés nous aussi à partir du cas Léonarda. Une chose à laquelle nous faisons attention c’est qu’il y est un « après manif », un « après mouvement », après que la Loi Travail sera retirée ou passera comme loi.
Ce qu’il faut au contraire dire et expliquer c’est que tout, chaque acte, la vie elle-même, est politique. Même choisir de ne pas aller à l’école ou au travail, faire la fête dans la rue, ça aussi c’est politique. Aller retrouver mes amis, il n’y a rien de plus politique que ça. C’est à nous d’avoir le pouvoir sur nos vies et de faire ce que nous voulons.
(Publié fin avril 2016)
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