Un symbole qui peut devenir une occasion. Au sujet du 18 mars à Francfort
Durant la matinée d’actions et blocages et ensuite pendant le cortège qui a défilé du Romerberg dans l’après-midi, on a vu à Francfort une composition hétérogène, principalement juvénile et précaire. Celle-ci est arrivée dans la plupart des cas à atteindre pendant la matinée ses objectifs, d’une manière convergente quoique disorganique. C’est de là que nous devons absolument repartir. La question à se poser aujourd’hui est la suivante: qui va bénéficier de ce qui a été produit? Quelles sont les perspectives qui émergent de ce qui s’est passé à Francfort pour ceux qui appliquent quotidiennement cette méthode là en Europe et pas seulement ?
Tout un vacarme médiatique s’est monté autour du nom Blokupy. Ce dernier ne rend pas compte de la complexité de ce qui s’est passé. Pour les médias et l’opinion publique, Blokupy c’est les flammes autour des voitures de police, mais aussi le meeting de l’après-midi traversé par des sigles politiques et syndicales qu’on ne peut sûrement pas considérer pleinement “de mouvement”.
Blokupy c’était le grand cortège de 17h, les blocages des infrastructures de la ville. Mais c’était également un premier moment dans lequel on a recomposé des pratiques et des imaginaires d’un passé d’autoreprésentation (heureusement) vaincu, au moins ici en Italie. Un passé qui ne nous offre pas de perspectives pour relancer la lutte à une échelle européenne où l’on a besoin de mettre en œuvre bien d’autres pratiques de subjectivation sociale.
Blokupy a donc été un conteneur, ce n’est sans doute pas un “mouvement”. C’est un ensemble de sigles (de partis, syndicales, de mouvement au sens plus strict du terme), de singularités, de méthodes, de stratégies politiques complètement hétérogènes, qui se sont retrouvées au même endroit pour témoigner d’une opposition commune à un ennemi puissant comme la BCE. Mais pas tous les participants à la journée du 18 mars étaient inclus dans cette plateforme, et sans doute Blokupy sera difficilement dans le futur un conteneur capable de produire une mobilisation commune sur les territoires, à moins que l’on entende par là la préparation d’un contre-sommet ou de l’événement contestataire du moment.
Se pose toujours plus fortement le besoin d’ouvrir de larges et nouveaux moments de construction, de débat parmi ceux qui, par mouvement, entendent un processus qui abolit l’état des choses présentes, qui aspire et lutte pour s’organiser au delà de l’Etat, et non à le réformer de l’intérieur (indépendamment du si et jusqu’à quel point cela possible selon les périodes).
Pour faire cela, peut être, il est nécessaire de repartir d’un sujet qui été longuement débattu dans les dynamiques italiennes, c’est à dire de la rupture de la dimension de l’événement, de la construction de journées (mêmes fortes) de conflictualité qui restent quand même isolées, incapables de fonctionner comme des points de rupture sur le long terme par rapport aux normales politiques de gestion de la crise, incapables de construire une accumulation de force qu’on peut ramener sur les territoires exactement lorsque dans ces mêmes territoires il n’y a aucun contexte social sur lequel renverser cette force!
Ce qui est important, comme d’habitude, c’est la méthode: la question de s’enraciner, extensivement et intensivement, dans les territoires que nous vivons tous les jours à partir de l’identification des besoins sociaux et des contradictions qu’ils soulignent, sur lesquels on doit construire la rupture et la subjectivation sociale en sens antagoniste. C’est une approche qui voit les dates, les échéances, comme des points de transit, sûrement pas comme des symboles qui se suffiraient à eux-mêmes, que l’on pourrait laisser dans un halo de mythe jusqu’au prochain rendez-vous symbolique. Le symbolique, nous sommes les premiers à le dire, il faut l’entendre comme une indication de pratiques, d’objectifs, d’ennemis et d’un projet sur un plan plus général qui dépasse le plan militant. Le problème est de ne pas le faire devenir une représentation de soi-même, le plier aux intérêts de son propre petit potager au lieu de le mettre au service du développement des parcours collectifs.
C’est une méthode propre à beaucoup de groupes non seulement européens qui ont participé activement à la journée de lutte d’hier, et qui n’appartient pas à beaucoup d’autres. Une méthode qui est nécessaire, à notre avis, aussi pour défendre les luttes sociales réelles que les camarades mènent quotidiennement en Allemagne: pour ceux qui restent tous les jours sur les territoires et qui sûrement ont le droit de prendre des risques pour la juste cause d’une réelle transformation et non pas pour soutenir un processus exploité par d’autres sur d’autres niveaux, comme celui de la représentation institutionnelle.
La journée de hier a été importante aussi car il semblerait, en écoutant les discours postérieurs et en discutant avec les camarades, que les rhétoriques dissociatives envers certaines pratiques mises en œuvre hier n’ont pas été développées. Des pratiques qu’il ne faut sans doute pas exempter de critiques même fortes. Des pratiques qu’il faudrait évaluer en termes d’impact par rapport au sujet social auquel nous nous référons et en termes d’utilité politique.
En revanche il faut affirmer clairement que ce n’est pas un numéro d’identification qui fait la différence en matière de brutalité policière, et qu’il faut fuir comme la peste les paroles de ceux qui, comme après la manif de Cremona*, ont proposé à nouveau le petit jeu des gentils/méchants pour lire les événements de la journée de Francfort, sans nous laisser aucun doute quant à leur détermination à indiquer leur propre compatibilité!
Le nœud, comme on l’écrivait dans la présentation du #18M, demeure bien sûr celui de l’analyse de la phase dans laquelle on se trouve. L’Europe, pour comment elle a été constitutionnellement bâtie, est-elle réformable de l’intérieur? Est-il-possible de le faire aujourd’hui, avec les rapports de force actuels, lorsque l’on voit que même une expérience sans doute intéressante et dense de perspective comme celle de Syriza semble être dans une grave impasse par rapport à ses programmes initiaux?
Il faut aujourd’hui être pressants envers les gouvernements plus proches et intransigeants comme envers ceux qui le sont moins, en partant de l’idée qu’il n’y a pas de gouvernements amis et jamais il y en aura. Une bonne journée sur le plan symbolique comme celle du 18 à Francfort peut donc être une occasion seulement si elle sera exploitée en tant qu’élan pour l’organisation d’un avancement des luttes sociales. Un avancement fait de création et de renforcement de parcours d’autonomie qui sachent “imposer sur la table” leurs propres instances sans abdiquer à la médiation d’un pouvoir, national et transnational. Celui-là même qui avant tout ferme et fait sauter tout espace de ce type au nom d’un néolibéralisme orthodoxe que nous devons toutes et tous contribuer à renverser.
19/3/2015 Infoaut from Frankfurt
* Le 24 janvier dernier, 10 000 personnes ont défilé à Cremona en réponse à une agression fasciste contre le centre social Dordoni et à cause de laquelle un camarade, Emilio, est tombé dans le coma. Les antifascistes se sont battus pendant plusieurs heures contre la police dans la tentative d’atteindre le siège de Casa Pound. http://youmedia.fanpage.it/video/aa/VMPwHeSw21tmNYgT (NdT)
Traduit par: Nantes Indymedia
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