Tout a commencé avec un siège
Au cours de ces deux années, la crise a transformé le contexte général, en transformant en profondeur les conditions sociales. Sur les territoires, les processus de décomposition déterminés par le renforcement des politiques d’austérité et d’appauvrissement sont devenus évidents, qui, si nous ne parvenons pas à les attaquer de manière adéquate, risquent de déterminer des rapports de force non favorables aux luttes. Les mouvements qui sont capables d’aller dans la bonne direction, en dépit des difficultés diverses, sont différents les uns des autres, mais unis – comme le No TAV, le No MUOS, la lutte pour le logement, etc. – par la capacité de construire des segments d’auto-organisation et la tentative de recomposer les différents segments. Il s’agit bien là de recomposition, non pas de la classe politique, mais des luttes et des segments sociaux, de ces sujets qui subissent la crise et en ont marre d’en payer le prix. Le 19 octobre a été la première tentative de donner une visibilité à ces processus, sans les déléguer à des calendriers fixés séparément, mais en donnant naissance à une nouvelle temporalité, décidée de manière autonome par les conflits. Cette journée a nécessité une préparation et de très grands efforts en raison des diversités qui se sont exprimé en son sein, mais nous étions tous conscients que c’était seulement un début.
Un regard attentif sur la manifestation peut rendre compte de cette diversité. Il y avait une grande quantité d’occupants de logement. Il ne s’agissait pas seulement de la récurrence de la nature cyclique des occupations relatives à l’habitation à Rome, mais de quelque chose de plus et de différent. Une trace visible de cela a été la présence massive des migrants en tant que protagonistes directs de la manifestation, et la propagation que le thème du logement a acquis dans des territoires où il n’avait jamais été présent jusque là. L’occupation devient une réponse concrète et même nécessaire à un besoin matériel de plus en plus remis en question ou ouvertement refusé par la crise. Il y avait ensuite, de manière consistante, la présence de la jeunesse précaire et des couches sociales privées de revenus et d’opportunités, qui paient les frais de la crise au prix fort. Il y avait, bien sûr, les sujets des luttes territoriales, qui sont maintenant une affirmation constante de ces dernières années.
Cette manifestation a exprimé deux aspects. La première est constituée de l’opposition aux institutions et à l’État, blindé en face de ce qui est pour eux un réel danger, pas en terme d’ordre public, mais d’ordre social. Parce que les segments sociaux qui ne veulent plus payer pour la crise se sont réunis pour le faire. Ici, le revenu n’est pas agité comme un drapeau idéologique, mais dans les pratiques matérielles de réappropriation. L’autre aspect est la construction d’une légitimité de l’illégalité, qui exigera encore de nombreuses étapes. Les formes de lutte ne sont jamais égales à elles-mêmes, autrement elles deviennent inefficaces : elles doivent être évaluées et testées en fonction des objectifs et des étapes politiques correspondantes.
Tandis que les médias ont essayé d’ensevelir le 19 octobre, d’abord sous une première chape de silence puis de criminalisation, la participation est allée bien au-delà de la composition militante. Nous ne sommes pas intéressés à jouer le 19 contre le 12 octobre[*], parce que ce sont deux choses qui agissent sur des terrains d’une incomparabilité radicale. Cela se mesure non seulement dans les chiffres, ce qui est en soi très important ; malgré la mobilisation des structures des partis et des syndicats et de la publicité médiatique dont a bénéficié la manifestation pour la défense de la Constitution, le 19 octobre a eu une participation deux fois supérieure. Mais la différence décisive qui nous intéresse ici, c’est surtout la qualité de cette participation. Il s’agit de la composition, précisément, de sujets – d’un point de vue de classe et générationnel – qui doivent se confronter directement avec la crise, qui n’ont plus rien à défendre, pour lesquels la non-représentabilité n’est pas une question idéologique, mais avant tout matérielle. C’est ce sur quoi se sont brisées toutes les tentatives de recomposition du cadre de la gauche institutionnelle, et c’est là la différence radicale du 19 octobre par rapport à de nombreuses échéances nationales des dernières années.
Un pari, comme nous l’avions défini. Eh bien, aujourd’hui, nous pouvons dire qu’une première partie de ce pari a été gagné. Ce n’était pas le résultat de la spontanéité, mais du travail de construction politique qui a cherché à faire prévaloir certaines priorités. En premier lieu, celle de faire émerger le caractère politique intrinsèque de la composition sociale et pas l’action des groupes et des structures. Deuxièmement, nous avons insisté sur le caractère du processus et non sur le simple évènement. Le 19 octobre avait déjà commencé au niveau territorial depuis plusieurs semaines, avec les nombreuses initiatives qui ont été lancées, relancées ou qui ont renforcées celles existantes ou encore à construire. Le 19 octobre renvoie à ce travail politique et territorial et c’est sur celui-ci que ce pari va être ultérieurement vérifié.
Dire qu’une première partie de ce pari est gagné, ne signifie pas faire des calculs de boutique et nous contenter d’un résultat important. Au contraire, nous savons que la route est longue, que le travail politique à faire est énorme, et que c’est vraiment la maturité de cette conscience qui peut nous permettre de poursuivre le processus du 19 octobre. Ce sont là les questions à l’ordre du jour : l’opposition et le rapport de forces entre les classes, entre les formes d’insurgence sociale et les institutions, doivent être pensés, proposés et organisés avec l’intelligence politique et le travail concret.
Nous sortons donc du 19 octobre en sachant qu’il n’y a pas de raccourci ou de table de négociations qui tiennent. Les classes politiques, toutes vaincues et vidées de leurs fonctions qu’elles soient, ne vont pas renoncer à essayer de réapparaitre sur un mode parasitaire. Mais aujourd’hui, nous sommes un peu plus fort, car au lieu d’un meeting électoral, cette manifestation s’est terminé par un campement, c’est-à-dire avec la volonté d’occuper une place pas seulement symboliquement et d’y rester. Pour la première fois au cours des dernières années, cette manifestation a pris fin pour ne pas terminer. Et nous savons tous que c’est dans ce processus que se joue le défi de la recomposition.
La rédaction d’Infoaut, 20 octobre
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[*] Le 12 octobre, une manifestation en défense de la Constitution a rassemblé entre 30 et 40.000 personnes à Rome.
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